La psychologie à l’école et la clinique
La psychologie à l’école et la clinique
Deux grandes conceptions traversent la psychologie dite scolaire: celle liée à
l’étude du développement de l’enfant et celle qui étudie les processus
psychiques en jeu dans la constitution de soi. Ces deux approches sont
complémentaires. L’histoire des sous-disciplines de la psychologie les a
pourtant profondé- ment séparées. La première est étroitement liée à la
psychologie cognitive et la seconde à la psychologie clinique. Aujourd’hui, les
missions du psychologue à l’école l’appellent à la fois du côté de l’évaluation
des capacités cognitives de l’enfant et du côté de celle de ses modes de
fonctionnement au plan de sa vie psychique. Elles sollicitent le psychologue de
l’Éducation nationale dans l’aide qu’il peut apporter à l’enfant, à sa famille,
mais aussi aux enseignants qui ont pour charge de construire les bases des
savoirs élémentaires dont l’enfant aura besoin toute sa vie.
C’est dire si le
psychologue de l’Éducation nationale doit développer des compétences dans le
domaine de l’écoute, de l’évaluation des demandes qui lui sont faites, dans
l’accompagnement et le soutien apportés aux enfants (et à leur famille) en
difficulté, mais aussi dans le domaine des relations avec les autres
intervenants du champ sanitaire et social. Davantage qu’un expert en évaluation
des difficultés que rencontre l’enfant dans ses apprentissages fondamentaux, le
psychologue de l’Éducation nationale est celui ou celle qui va prendre en
compte la dimension subjective de l’enfant, considéré non pas seulement comme
un élève, mais aussi et un surtout comme une personne dans sa dynamique
globale. Ce point de vue est fondamental dans la mesure où il permet de penser
les difficultés de l’enfant non seulement dans la dimension des apprentissages
et de leurs aléas, ce qui risquerait de réduire la problématique de l’échec
scolaire à la dimension d’un dysfonctionnement cognitif, sans lien avec sa
problématique subjective, mais aussi dans celle d’une prise en compte de la vie
de l’enfant en relation avec l’ensemble de sa vie psychique et son
environnement familial et social. On le voit, il s’agit là de deux conceptions
du monde qui s’affrontent: d’un côté l’enfant est perçu dans sa relation au savoir;
en cas de difficulté, il s’agira d’intervenir dans ce strict champ cognitif sur
une fonction défaillante et le psychologue de l’Éducation nationale sera
convoqué en sa qualité d’expert pour intervenir sur les dysfonctionnements
cognitifs (dyscalculie, dysorthographie, dyslexie, etc.). Dans l’autre
philosophie, l’enfant est appréhendé dans sa dimension subjective et ses
difficultés sont l’expression d’une problématique liée à un conflit psychique,
problématique qui a un sens et qui concerne l’ensemble du fonctionnement
psychique de l’enfant. Le dysfonctionnement devient symptôme. Mais la
différence entre ces deux conceptions n’empêche pas une certaine forme de
complémentarité. D’un côté l’affectif et le cognitif sont étroitement liés, de
l’autre les dysfonctionnements cognitifs doivent être travaillés
spécifiquement, pour eux-mêmes. D’un côté, l’enfant est envisagé comme une
personne en construction qui rencontre des difficultés dans sa subjectivation,
de l’autre, il est étudié dans les différentes fonctions (apprentissage,
socialisation, etc.) qui façonnent sa vie. La psychologie clinique apporte au
psychologue la dimension de la subjectivité, celle de l’étude des
interrelations entre l’enfant et son environnement; elle donne une vue globale
du problème sans «découper» l’enfant selon le type de problème qu’il rencontre.
La psychologie de l’Éducation nationale intègre ces deux dimensions de
l’affectif et du cognitif; mais pour pouvoir être exercée, elle suppose que le
psychologue ait d’abord un regard clinique, une formation suffisante à la
psychopathologie, avant d’entrer éventuellement dans des procédures d’aides
spécialisées, telles les procédures de remédiation cognitive ou la
psychothérapie de soutien. L’enjeu de la psychologie à l’école est de situer
l’enfant dans son fonctionnement, mais aussi dans son histoire. Le temps
scolaire n’est qu’un moment dans l’histoire d’un sujet, moment important
certes, mais moment relatif et largement déterminé par des éléments qui
échappent au seul domaine scolaire et qui appartiennent à son histoire
singulière et familiale. C’est pourquoi aussi, l’exercice de la psychologie à
l’école ne saurait se confondre avec une quelconque expertise en matière de
pédagogie, même si le psychologue de l’Éducation nationale n’est pas ignorant
en ce domaine ; elle ne saurait se réduire à un champ d’expérimentation des
méthodes éducatives et encore moins à un auxiliariat pédagogique dont le but
serait de faciliter les apprentissages de l’enfant. Soyons clair, le
psychologue n’est plus un enseignant, il n’est plus un référent ou un soutien
pédagogique pour l’enfant ou l’enseignant, il n’est pas non plus un spécialiste
de telle ou telle fonction entrant en ligne de compte dans les différents apprentissages
auquel l’enfant doit se confronter. Le psychologue de l’Éducation nationale
apporte une dimension hétérodoxe au champ strictement scolaire : il témoigne de
l’importance de la réalité psychique de l’enfant et du fait qu’un enfant tout
seul, un enfant isolé de son contexte, cela n’existe pas. Cette position
remarquable qu’occupe le psychologue à l’Éducation nationale au sein des
établissements scolaires du primaire lui rend la tâche difficile parce que ses
(anciens) collègues enseignants voudraient abolir une distance pourtant
indispensable pour qu’il puisse travailler dans le lien, mais sans confusion
des places et des fonctions. Cette position est rarement admise et comprise, y
compris par la hiérarchie qui voudrait que la psychologie scolaire ne soit
qu’une extension du domaine pédagogique, une aide à la mission de l’institution
qui repose sur la transmission de savoirs, mission essentielle s’il en est,
mais qui ne saurait délimiter la mission du psychologue. Le psychologue de
l’Éducation nationale est donc d’abord un empêcheur de tourner en rond, un
témoin de la résistance qu’oppose la réalité psychique à la réalité tout court,
témoin de l’importance que les adultes doivent accorder à la vie psychique de
l’enfant, à ses difficultés parfois à surmonter ses peurs, ses échecs. Le
psychologue de l’Éducation nationale est bien là pour aider l’institution à
dynamiser le potentiel de l’enfant.
La psychologie à l’école est
clinique parce qu’elle tente de rendre compte de faits psychiques, de
dysfonctionnements qui impliquent le sujet dans sa dynamique subjective et
intersubjective. La psychologie à l’école est clinique parce qu’elle tente de
rendre compte de ces dysfonctionnements et qu’elle met en œuvre les moyens de
les traiter au sein de l’école ou en dehors si nécessaire. Si aujourd’hui
l’école accueille de plus en plus d’enfants en son sein, y compris les enfants
qui présentent des handicaps physiques et psychiques, ce qui sûrement constitue
un progrès et une façon efficace de lutter contre l’exclusion – à condition que
l’école se donne les moyens de sa politique –, il n’en reste pas moins que
parmi les traitements de ces difficultés à mettre en place, beaucoup ne peuvent
se réaliser dans l’école elle-même. Le psychologue à l’école est la personne
clé de la situation, à la charnière de l’interne et de l’externe, seul capable
de penser les soins psychiques dans leur globalité. Il faut donc au psychologue
de l’Éducation nationale une identité professionnelle suffisamment forte,
imprégnée de la culture scolaire et en même temps suffisamment dégagée de cette
empreinte et du statut d’enseignant pour accomplir sereinement sa mission. S’il
est un partenaire privilégié du médecin de l’Éducation nationale, il n’en est
pas l’auxiliaire. Il a seul la compétence en matière de bilans psychologiques
et d’évaluation du fonctionnement psychique de l’enfant, le médecin n’est pas
formé pour cela; il peut également acquérir une solide formation en
psychopathologie au cours de ses études, et aussi au cours des compléments (master
professionnel en psychologie clinique et psychopathologie, notamment) que
beaucoup de psychologues scolaires suivent après l’obtention de leur diplôme
d’État de psychologie scolaire. Pourtant, ces deux personnages un peu atypiques
dans le monde scolaire ont à travailler ensemble, de façon concertée et dans le
respect mutuel de leurs rôles et fonctions. Le psychologue peut apporter au
médecin des éléments de compréhension irremplaçables sur la situation
psychologique d’un enfant. De la qualité de cette coopération dépendra celle
des aides qui seront apportées aux enfants et à leurs familles.
Extrait du livre : Pratique
de la psychologie scolaire
Georges Cogne et François Marty. ©
Dunod, Paris, 2013
